La ville chaotique du Blade Runner de Ridley Scott résulte des accélérations de la tendance actuelle d’urbanisation monstrueuse des grandes métropoles américaines, du phénomène de pollution de L’atmosphère et des problèmes de carence énergétique de la ville.
[ Illustrations : Concept Boards de Blade Runner par Syd Mead ]
Le scénario de Blade Runner, tiré d’une nouvelle de Phillip K.Dick (Do androids dream of electric sheep, 1968) et mis en images par Ridley Scott en 1982, se rapproche fortement des films noirs réalisés dans les années 50 : quatre fuyards désespérés, auteurs de nombreux crimes , poursuivis par un ex-policier arraché à sa retraite. Mais ce qui distingue Blade Runner du lot est le théâtre de cette poursuite infernale : la gigantesque mégalopole de Los Angeles en l’an 2020, flétrie par la population, écrasée par la surpopulation .
Lors de l’ouverture du film, un long travelling nous fait découvrir la cité qu’est devenue Los Angeles en 2020. Nous sommes alors confrontés à l’image d’une mégalopole qui n’a cessé de se développer et qui est, de surcroit , complètement bondée . Si l’on observe l’évolution de villes telles que New York, ou Los Angeles , de nos jours , nous remarquons un développement continu de l’espace urbain un rejet perpétuel des limites de la ville, grâce aux améliorations des moyens de communication, et la constitution de quartiers où se rassemblent de plus en plus les populations différentes qui forment la mosaïque américaine légendaire. Ridley Scott s’est contenté d’accélérer tous ces phénomènes, de les accentuer de façon réaliste à fin de créer la mégalopole de son film.
Le point de départ de la conception de la mégalopole de Blade Runner a été, pour Ridley Scott, la ville de New York. En observant, le relais par hélicoptère-navette entre l’aéroport et le building de Pan-Am au centre de la ville, le cinéaste a pensé logique d’introduire l’idée de trafic aérien, et de doter le toit de chaque bâtiment d’une piste d’atterrissage. Si le trafic aérien imaginé par Scott voyait le jour, l’évolution urbaine suivrait à coup sur cette voie. Par conséquent, la mégalopole aurait une capacité de rejet de ses limites encore accrue. Que se passerait-il si l’on poussait encore un peu plus ce phénomène? Peut-être une ville que l’on pourrait nommer San Angeles, ce qui signifierait que les milles trois cent kilomètres de la côte ouest Américaine se seraient transformés en un centre urbain hérissé de villes monstrueuses et de buildings monolithiques.
La population que l’on découvre durant le film apparait comme une mosaïque multiraciale. Nous savons que, de nos jours, le melting-pot américain est une réalité factice. Il s ‘agit en fait d’une population hétéroclite qui tend à se réunir en quartiers selon ses origines . Il n ‘y a pas d’assimilation des différentes populations mais plutôt une intégration des différentes ethnies au sein de la population américaine. En effet, si durant les scènes de rue, la population de la mégalopole semble très variée, Ridley Scott montre que les quartiers marquent un rassemblement ethnologique intense. Il tend même à montrer une prédominance de l’envahisseur Japonais dans les quartiers qu’il filme où même la langue anglo-saxonne semble être mise à l’écart . S ‘agit-il ici du reflet des propres inquiétudes du réalisateur qui, dans un film ultérieur, Black Rain (1989), dépeindra avec angoisse le milieu japonais d’Osaka dans une atmosphère de polar noir ?
Pour quelles raison l’influence japonaise est-t-elle omniprésente dans l’univers urbain décrit par Ridley Scott ? Il suffit d’observer les images du cinéaste pour comprendre sa théorie . D’une part la présence des japonais durant les scènes de rue tend à montrer une supériorité en nombre des asiatiques sur les autres ethnies. Scott, de cette façon, tient probablement à dire que la surpopulation du Japon, (qui de plus est une zone à haut risque sismique) est sur le point de se répercuter sur les autres pays , et en particulier les Etats-unis. D’autre part, la population japonaise semble être, dans Blade Runner, la classe dirigeante du milieu informatique, et même de la création génétique au niveau industriel. De ce fait , les japonais ont probablement pu conquérir l’espace américain grâce à leurs importance dans le domaine informatique. Mais l’importance de la population Asiatique s’explique surtout par le fait que la zone pacifique est en train de devenir l’épicentre du capitalisme mondiale face aux Etats-Unis qui a dorénavant perdu sa place de leader mondial et doit compter avec les autres puissances Asiatiques.
Les images de Ridley Scott dénotent un réel chaos urbain! où le niveau de pollution semble terrifiant et où l’état général de la ville est alarmant . La théorie sociale de Scott est la suivante. Les usines ne fabriquent plus de biens de consommation et les sources d’énergie les plus importantes sont collectés par de gigantesques conglomérats industriels, qui les recyclent ensuite dans l’exploration des autres planètes . Résultat : l’acheminement des énergies destinées à la population est court-circuité. « Regardez le New York des mauvais jour, une grève des éboueurs, une grève des transports en commun, une panne d’électricité et c’est le chaos » : Scott a simplement transporté quarante ans dans le futur une situation on ne peut plus actuelle. Il est intéressant de voir quelle architecture Ridley Scott fait répondre à toutes ces théories d’évolution urbaine. Pour celui-ci, « l’architecture de l’avenir sera une extension de l’urbanisme contemporain : on construira par exemple des bâtiments dix fois plus grands qu’aujourd’hui ». Le point de départ de Scott était que dans les années à venir, l’existence au niveau du sol serait intolérable. Les fondements de la vieille ville seraient conservés mais les bâtiments seraient reconvertis en assises pour les mégastructures qui les recouvreraient . Ou bien on les laisserait intacts, mais on construirait à l’intérieur de gigantesques colonnes qui ressortiraient par le toit, grimperaient à des centaines de mètres dans le ciel, puis redescendraient jusqu’aux fondations d’un autre building . Ensuite, il faudrait que l’architecture des rues contienne tous les progrès technologiques à la fois. Pour cela , au niveau du sol, les vieux immeubles seraient reconvertis en conducteurs de lumière, d’électricité, ou d’air conditionné. L’énergie supplémentaire proviendrait d’un générateur unique, situé à même le bitume, et serait véhiculé jusqu’au sommet de chaque bâtiment par d’énormes câbles qui serpenteraient en façade. Les bâtiments que l’on découvre dans Blade Runner sont par conséquent de gigantesques buildings monolithiques qui recouvrent les anciens fondements de la ville dans une architecture effroyablement organique et lourde.
La ville, de nos jours, est déjà terrifiante. Nous ne sommes qu’à quelques pas du chaos urbain dépeint par Ridley Scott. Peut-être, dans quelques années, les continents seront entièrement recouverts d’énormes mégalopoles de ce type. Les villes, après avoir lentement germé, auront fusionné les une aux autres au point de créer une unité indissociable. Où se trouve notre salut ? Dans la conquête de l’espace ? Serait-ce là une autre étape de la fuite en avant ?