Sujet de diplôme D.E.S.A, mention du jury
Cité Invisible est mon projet de diplôme d’architecture présenté à l’Ecole Speciale d’Architecture (Paris) en octobre 2000. Il parle de l’île Seguin, des vieilles usines Renault, de l’utopie,des rêves que j’ai fait, des obsessions que je porte en moi….
Partie 1 : MEMO 
1998 : L’agitation gagne Boulogne-Billancourt. Les terrains des usines Renault – symbole du désespoir ouvrier – libérés depuis 1989, vont être aménagés après neuf années d’études, de rêves projetés par des architectes comme Christian de Portzamparc ou Renzo Piano. La récente consultation de Jean-Pierre Buffi, Paul Chemetov et Bruno Fortier devrait permettre à Renault et au Syndicat du Val-de-Seine de lancer les grandes lignes du dernier grand projet parisien. Les terrains Renault sont constitués du « Trapèze » (31 Ha) côté Boulogne, de « Meudon-sur-seine » (9 Ha) et de l’île Seguin (11 Ha).
L’île Seguin est certainement le lieu le plus propice à l’utopie architecturale. Véritable site-charnière, puisque lien entre Boulogne et Meudon, l’île attise l’imaginaire, nourrit le rêve. Semblable à un paquebot échoué, l’île semble imprenable tel le rocher d’Alcatraz.
Prenons ce rocher d’assaut.
Construisons un rêve.
Comment transformer cette île – de prison en jardin d’Eden ?
Quelle ville construire là ?
Comment en faire un lieu à vivre en conservant la part de rêve ?
Et Quels rêves projeter sur cette île ?
Le devoir de l’architecte est de raconter une nouvelle histoire sur ce qui reste de cette île-prison, qui doit maintenant devenir un lieu bourdonnant de vie : une cité utopique où habiter, travailler ou venir se promener; Cette île mystérieuse perdue sur la Seine doit être une promenade, à la fois pour les nouveaux habitants, les futurs travailleurs mais aussi pour accueillir les flâneurs (attractions, cafés, …). Afin de rythmer la promenade, varier les espaces et offrir de l’altérité au paysage, nous devons jouer avec les dénivelés de cette nouvelle cité.
L’usine-paquebot doit conserver sa part de mystère. L’île doit conserver son caractère irréel, intriguer les passants qui veulent découvrir ce lieu sorti de l’imaginaire. Ce lieu hors du commun doit être mis en scène, découpé en séquences; il doit s’organiser comme un village – « le village » du Prisonnier dans une vision utopique? – que l’on raconterait à la façon des « Villes invisibles » d’Italo Calvino, comme tous ces lieux dont on doute de l’existence. La cité invisible doit bénéficier d’une atmosphère irréelle, comme les cités obscures de Schuiten-Peeters ou la ville de Dark City d’Alex Proyas; elle doit faire rêver et se façonner afin d’offrir un espace poétique.
La cité nouvelle doit opérer dans le paysage comme une tache irréelle dans la ville, une sorte de jardin d’Eden habité, vécu par des gens habités par le même rêve, la même vision.
Que le conducteur de grue lève ses bras de joie.
Que cette cité utopique se dresse pour de vrai.
Que la vie s’organise autour d’un rêve commun.
Que la vie se noie dans une promenade verte.
Une cité nouvelle.
Jusqu’ici invisible.
S’apprête à naître.

Partie 2 : UTOPIA
Le terme d’utopie a un sens double. Il constitue la fusion de deux racines étymologiques différentes : Ou-topia, le lieu qui n’existe pas, et Eu-topia, le lieu de joie, le » bon » lieu. Si l’ou-topia est un modèle inaccessible, un fantasme, l’eu-topia est un contre-modèle, un spectre. Ainsi, toute ou-topia ne peut exister que dans une dimension onirique, tandis qu’une eu-topia – lieu idéal lui aussi, mais pour sa part bel et bien envisageable en notre monde – est condamnée à sans cesse être rattrapée par une réalité sociale, un mal à survivre à l’enthousiasme de ses créateurs, fondateurs et pionniers (exemple du familistère de Godin ou du projet de reconstruction de Paris souhaité par Le Corbusier), tout comme à un changement de régime politique (manquerait-il au nombre des principes des tentatives utopiques un souci d’évolutivité ?).
Les contre-utopies jouissent d’une popularité plus étendue que les utopies elles-mêmes (comme Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley ou 1984 de Georges Orwell) et conduisent souvent à un eugénisme social, à la disparition des villes, à une ségrégation sociale et économique ; si l’utopie est la vision de son créateur, celui-ci a pour devoir de se charger de l’organisation de ce modèle de » société idéale » en tant qu’administrateur.
De nombreuses expériences utopiques ont pour cette raison malheureusement dégénéré en sociétés totalitaires ou anarchiques.
Le thème de refondation urbaine du discours utopique est ambigu : il exprime la volonté d’un retour à l’âge Edénique ; pourtant l’Eden jouit d’une nature luxuriante tandis que l’utopie urbaine se veut – majoritairement – un univers réglé, géométrisé (géo-maîtrisé ?), pleinement raisonné et planifié par un pouvoir humain. L’utopie devient donc un discours de la fin des temps et de la disparition de l’espace, un modèle achevé du progrès parvenu enfin à sa pleine maturité (peut-être comme à la fin des Particules élémentaires de Houellebec…).
L’utopie se divise en quelques types différents d’utopies, qui s’opposent aussi bien qu’elles se complètent. On peut distinguer ainsi deux familles d’utopies : les utopies-miroirs et les utopies-projets.
Les utopies-miroirs ne sont pas destinées à se réaliser mais à frapper l’imagination. C’est un type d’expression politique qui peut être un acte d’opposition (critique) ; c’est une contestation, une attaque à un système de gouvernement et ses dysfonctionnements.
La plus ancienne utopie-miroir est celle de Thomas More (L’Utopie, 1518), dans laquelle il attaque de façon détournée la ville de Londres et le gouvernement anglais. De la même façon, les contre-utopies ou dystopies accusent les dysfonctionnement d’une société existante en les projetant dans l’onirique, le futur ou l’intemporalité (pour exemple, citons Le voyage de Gulliver de Jonathan Swift, Paris au XXème siècle de Jules Vernes, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, 1984 de Georges Orwell ou Ravage de Barjavel).
Les utopies-projets sont des tentatives (révolutionnaires ?) d’organisation d’une » Nouvelle société » ; il existe ainsi des utopies complètes, comme le renouveau occidental lors de la révolution industrielle, et des fragments d’utopie, qui tentent de poser un nouveau questionnement en évacuant les principes révolutionnaires et de « refondation ». Ce sont des interventions précises et circonscrites sur des éléments considérés comme structu-rants de notre société. C’est l’espoir utopique d’un changement et d’une perfectibilité de notre société.
L’architecture et l’urbanisme sont les moyens les plus clairs de ce type d’intervention ; le projet déborde alors du cadre architectural pour se prolonger dans l’esquisse d’un fragment d’utopie limité à un quartier ou une ville neuve / nouvelle. C’est une expérimentation limitée dans l’espace urbain, qui plonge dans le passé, en quête d’un idéal perdu, ou dans le futur, dans la dynamique d’une reconstruction, d’une conquête.
L’utopie moderne se définit par un refus de tabula rasa, car la société qui doit vivre l’utopie a déjà une histoire et une structure sociale. L’utopie urbaine, qui propose le modèle d’une société idéale, est de par ce refus très éloignée de l’utopie (miroir) littéraire de Thomas More.
Pour le genre utopique la question du pouvoir est centrale. L’équilibre d’une société utopique est garanti par la minutie maniaque de l’ensemble des règlements, lois et principes constitutionnels (viverions-nous une utopie sans le savoir ?).
Si le pouvoir est garant de cet équilibre, les concepteurs (architectes et urbanistes) de ce genre d’utopie moderne préfèrent pourtant ne pas aborder la question politique : ils s’intéressent au « cadre » dans lequel se reproduit le pouvoir de manière identique qu’à l’extérieur. Oubli ?
Il n’est en effet plus concevable d’imaginer une société hors des normes nationales de l’exercice du pouvoir. Les architectes et les urbanistes sont assujettis à une commande et ne peuvent envisager un modèle qui remette en question l’emprise du pouvoir sur le territoire national. L’utopie devient alors le modèle rêvé, espéré, de normativité nationale ; C’est un exercice de style, une source inspiration : un site avantageux, une architecture ad hoc, une atmosphère propice à la « fertilisation croisée » entre recherche appliquée et développement industriel. Il n’est plus question alors de proposition d’une nouvelle « architecture des pouvoirs ». Ce sont des utopies incomplètes ou inabouties. On assiste à une neutralisation politique de l’utopie moderne qui devient une « utopie consumériste ».
Les utopies politiques appartiennent au passé ; il n’y a plus d’espace à conquérir – du moins sur terre ! – pour recommencer sur des bases nouvelles. Il convient plutôt d’attendre de la dynamique de l’évolution politique l’émergence de nouvelles utopies urbaines (ou bien comme le rêve – cauchemarde ? – Houellebec dans Les Particules élémentaires, le seul recours de l’homme en vue de l’utopie ultime, serait-il une méthode radicale, génétique ? La constitution d’un modèle de » société idéale » est-elle alors envisageable avec l’humain en tant que donnée du problème ?). (…)
Nous aboutissons alors au concept d’utopie-principe et à la prise de conscience de l’irréalisme d’un projet idéal, tout en intégrant le principe utopique dans la phase de conception du projet. L’utopie transite alors du statut de projet idéal à celui d’idée ou de collection d’idées à l’intérieur d’un projet.

Partie 3 : AU COMMENCEMENT
« Boulogne assassine Billancourt ».
C’est ainsi que le cri de guerre Nouvelien a été lancé. C’est ainsi que pour beaucoup, tout a commencé. Les uns avaient déjà sorti leurs pioches, prêts à raser une aberration socialo-historique ; les autres ont d’une main saisi un pavé et de l’autre tenu leurs porte-voix – contents qu’ils étaient de refaire enfin la révolution (dire qu’ils se seraient un peu pressés, on aurait pu faire Mai 98… ).
Et bom, la chute de l’usine / et snif, toute cette suie en ruine…
L’île est à la base un réel exercice de pouvoirv exercé par Louis Renault qui a pris possession de l’île et des environs en murant des rues afin de faire fuir les habitants (1900-1930).
Le bougre a bien été puni par la suite puisqu’à la fin de la Deuxième guerre il fut taxé de collaboration avant de mourir dans sa cellule (sans avoir pu s’en défendre)…
On aurait depuis bien longtemps dû reconvertir l’île en plate-forme de défilé de manifestation… Imaginez un peu le bordel qu’ils pourraient y faire, campements, barbecul et slogans foireux lobotomisants, le tout filmé avec la maestria des propagandes Néo-Maoistes par les plus grands clippeurs pour le plus grands plaisirs des zappeurs avachis devant leurs télés 16/9 en Dolby Surround…
Cette île est devenu un réel symbole du combat des pouvoirs (le peuple/les riches/les pauvres/les dirigeants/les maniaco-dépressifs…) et rien que pour cela on devrait lui offrir un empaquettement par Christo.
Dépouillons un peu les alternatives proposées par les divers concurrents. Soit on rase tout pour y construire du pavillonnaire – waouh ça c’est lucratif et si innovant / dis maman, c’est encore loin l’an 2000 ? – soit on garde le tout tel quel – on pourrait y mettre des lofts à l’Américaine et puis ça ferait bien de la brique partout et puis et puis (ça prouve que moi aussi j’ai des idées…) / dis maman c’est encore loin, l’an 10.000 ? Et de là, on assiste à des débats immenses où chacun se bat pour se soumettre au vote, démontrer le bien-fondé de ses intentions, jusqu’à ce qu’un jeune architecte puisse enfin placer son petit mot – le seul intelligent en quatre heures – « La forme, c’est bien joli, mais quelqu’un ici a-t-il une idée pour le site ? ». Face au silence qui suit, hormis les quelques étudiants présents qui ont enfin trouvé leur futur Président d’école, il est clair que non. Chacun se bat pour une image de l’île en ayant omis de penser ce qu’ils veulent y dire. Comme un réalisateur voulant faire un film d’auteur en ayant oublié d’être intelligent. Il y a là un superbe espace à mettre en scène, mais personne n’a pensé que l’on avait besoin d’un scénario.
La poésie du site, malgré son image sale et rude, tel une vieille épave (un vaisseau, M. Nouvel, si vous y tenez…) semble rassembler les révolutionnaires tandis qu’une sorte d’hygiénisme totalitaire (tendance village de vacance pour retraité, avec tous les conforts qui vont avec…) et l’appel au gain (effacé pour notre plus grand bonheur des discours des décideurs) font la puissance de frappe des autres. Que choisir entre le Club Med et Beyrouth muséographié par Ridley Scott ? (Ne me le dites pas, moi aussi j’ai besoin de vacances…).
Le consensus qui se produit en fait au sujet de l’île Seguin est la confrontation entre un » dedans » existant, sorte de vieille carte postale pittoresque (l’usine est un espace clos recouvrant toute l’île) et un « dehors » projeté, souhait écolo-politically correct (le retour de la végétation, un parcours extérieur entouré d’arbres, une dislocation du volume de l’usine). Dans « L’homme de l’ombre » de Schuitten et Peeters, la part d’ombre est acceptée. L’île Seguin doit muter sans avoir à se débarrasser de sa part d’ombre. En conservant le dedans et en constituant un dehors, le projet obtiendra une dimension théorique plus intense, grâce au jeu des deux pôles (le + et le -). Le jeu entre les deux « mondes » deviendra alors source d’électricité (des sens).
Dans l’univers Lynchien, il est surligné l’importance de l’opposition, du contraste entre le dedans et le dehors. C’est sur cette opposition que, pour Lynch la vie est fondée. « On a un extérieur et un intérieur. Parfois, les deux se contredisent ». Sans la part d’ombre de l’intérieur, le rapport entre les deux mondes est dénué d’intérêt, de vie et de mystère. Pour Peeters, « les cités radieuses du futur doivent accepter leur part d’ombre ».
Alors, quelle ville pour demain ? La ville utopique dont nous rêvons doit se constituer à la fois d’hier et de demain.
De lourdeur et de légèreté. De sale et de propre. De lumière et d’ombre. Puisqu’on veut toujours ce que l’on n’a pas, que la mer nous manque lorsqu’on voit la montagne et que deux valent mieux qu’un. Puisque la liberté consiste en l’augmentation des possibilités de faire des choix. La vie c’est le contraste entre les éléments, c’est un électrochoc qu’il convient d’asséner pour réveiller cette île (plus qu’un débat d’octogénaires plus très sages) et ré-insuffler de la vie tout autour.

Cela devrait satisfaire la plupart (sauf les despotes – autres que moi…) : notre vaisseau est conservé / il nous est permis de rêver une ville nouvelle, une cité dans les nuages – sorte de nouvel Eden ou Babel chatouillant les nuages. Quel accouplement contre-nature sommes nous en train d’effectuer ? Mais c’est ça, aussi, les bienfaits de la génétique… On pourra écouter à la fois d’une oreille aérienne une symphonie en digital, et un trip-hop analogique en sous-sol…
Une vraie boîte de nuit en perspective…
(Extérieur jour)
Le passant : Je ne savais pas que l’on pouvait
cueillir les pommes de ces arbres publics.
Mais dites-moi, comment se fait-il
qu’il fasse toujours beau sur cette île ?
La pluie ne vous manque pas au moins ?
La jeune fille le prend par la main et l’entraîne vers les profondeurs.
Ils arrivent dans une forêt artificielle, sorte d’arche de Noé des espèces
végétales où il semble pleuvoir à torrent (excepté sur eux).
Il règne un calme mystérieux bercé de chants d’oiseaux.
(Intérieur nuit)
La jolie résidente : Vous voyez, Monsieur, la vie est ainsi faite de contraste que l’homme lui-même a le pouvoir de faire exister.
La jeune fille s’éloigne. Entre deux branches, l’homme voit les phares d’une voiture ancienne qui cherche à se garer dans cet amas de verdure.
L’étranger reste seul. Il est tenté de pleurer, juste pour avoir la satisfaction de mêler ses larmes aux perles de pluie et nourrir en son sein cet éden des entrailles de la terre.
Une jolie résidente : Vous aimez la pluie ?
Le passant : Ma foi, j’aime les changements…
Quelles anticipations de l’avenir semblent nous proposer les films de science-fiction ?
Demain, la ville sera enterrée. Oui, c’est inéluctable. Nous serons chassés de la surface du globe, plongés sous terre à cause d’un fléau (virus, radioactivité, …). Nous devrons attendre, croupis dans les entrailles de la Terre, une permission de remonter, un pardon écologique. Un avenir claustrophobe, sorte d’utopie-miroir semble nous être prédit, contre notre volonté (THX-1138 / Lucas, La jetée / Chris Marker, ..). Un retour à la caverne originelle ?
Comme pour conjurer ce sort, nous nous plaisons à imaginer des villes verticales – des tours lancées toujours plus haut vers le ciel, des spinners, ces voitures volantes, virevoltant entre les buildings, … – toujours habitées par l’être humain (Blade Runner / Scott, Le 5ème élément / Besson, ..), des fragments d’utopie visant à démontrer que l’homme – et non le singe – continuera à peupler notre vieille planète.
» Elevons-nous pour ne pas se laisser enterrer vivant… « , c’est ce que semblent nous murmurer ces films où la verticalité est sans cesse mise en exergue, le sol sans cesse repoussé jusqu’à nous propulser dans l’univers (Total Recall / Verhoeven, Dune / Lynch..), prêts à coloniser l’univers, du moins à peupler d’autres planètes, comme une seconde naissance hors de la gravité terrienne, autrement dit libéré de cette force qui semble nous entraîner vers les profondeurs…
D’où vient donc ce rejet de la gravité, ce besoin de s’arracher des forces naturelles, cette peur de disparaître, enterré ? Est-ce parce que le ciel est si beau, les nuages si changeants, les étoiles si lointaines ? Ou bien parce qu’il fait terriblement froid quand on est mort et mis sous terre ? Quand nous poussera-t-il enfin des ailes ?
(Extérieur Jour)
Le visiteur est sur une passerelle à des centaines de mètres du sol ; d’un coup d’œil, il surveille le panorama Parisien en mutation. Un adolescent est là, qui regarde en bas. Le vent les décoiffe, le soleil les réchauffe. Des gens passent, tous sourient. Le garçon se rapproche du visiteur et lui sourit. Le visiteur est surpris, tant de sourires d’inconnus, il vient de dépasser son quota annuel…
L’adolescent: Vous êtes nouveau ici ? Elle est belle, la vue, hein ? Avant j’habitait loin, la terre était plate comme une crêpe, j’m’emmerdais comme un rat mort, j’ai même essayé de me suicider en sautant par la fenêtre et tout…C’était avant que j’arrive ici. J’me serais pas raté en sautant de là ! Maintenant, j’aime venir ici, voir la vie d’en haut, me souvenir comment c’était avant… C’est comme si j’étais mort et que j’étais devenu un ange et tout…
C’est le paradis ici ! !
Le visiteur : Comment t’appelles-tu ?
L’adolescent : Païkan, comme dans ce bouquin, vous savez… La Nuit des, des… Temps… Fichu bouquin ! Vous connaissez ?
Le visiteur : Oui, je l’ai lu quand j’avais votre âge, comme vos parents sans doute…
L’adolescent : Non, non, ils l’ont pas lu, c’est en arrivant dans la cité que j’ai dû choisir un prénom, c’est la coutume… alors comme c’est le premier livre que j’ai lu en arrivant ici… Remarquez j’aurais pu garder celui que j’avais avant, mais j’aime bien l’idée de choisir son nom quand le moment est venu…Et puis, choisir un autre prénom, c’était un peu comme renaître ici une deuxième fois, adulte… Eh, regardez en bas vous voyez tout ce monde ? Il y a une fête qui s’organise dans les rues… Oh regardez les points colorés, ce sont des ballons qu’ils lâchent, avec un peu de bol, vous pourrez en attraper un ou deux… Moi, j’y vais !
Le garçon, s’éloigne vers une colonne qui le propulse à une vitesse vertigineuse – et sans désagrément – vers le niveau naturel où la fête a bien commencé. Il est 17 :00, les gens sortent de leur bureau, de leur appartement et se mêlent à une foule animée à la manière d’un gigantesque carnaval Vénitien…
La réalité, pour David Lynch, est sujette à éclipse et à retour, comme le courant alternatif. Son univers est trôné d’éclipses de lieu, sortes d’espace-temps isolés et mystérieux, où les règles naturelles sont faussées (on parle et danse à l’envers, la fumée réintègre son feu, les personnages disparaissent à loisir…).
Les espaces alternatifs que décrit Lynch s’apparentent à des visions oniriques où prédomine une sensation de mystère : visions récurrentes, psychiatrie dérangée, sorte de classicisme étrange que l’on retrouve dans les peintures de Giorgio de Chirico. Nous y recherchons une vérité dans un continuel élargissement du sens et des pistes qui s’offrent à nous. La Vérité se dérobe alors. Nous demeurons dans la part d’ombre d’un rêve obsédant. Ce monde parallèle reste gravé en nous pour des rêves futurs où il nous est permis de revenir encore et encore.
Ce type de lieux s’apparente à un dedans et non à un dehors puisqu’il est nourri par nos souvenirs (de lieux, d’objets, d’histoires, de sensations, …) ; Il devient un espace-mémoire.
Comment représenter cet espace onirique, ce lieu du mystère sans que s’exerce sur nous la lourde angoisse des cauchemars ? Le mystère suffit-il à un lieu pour que nous en soyons marqués, que l’on désire y revenir ? Comment représenter la multitude des pistes qui peuvent s’offrir à la résolution d’un mystère ? Cherche-t-on alors vraiment à le résoudre, ou bien seulement à chercher ? Les chercheurs cherchent-ils seulement pour trouver ? Seulement pour chercher ? Le questionnement est-il la seul issue philosophique qui s’offre à l’Homme ?
Partie 4 : LE SITE
Quelques photos prises sur l’île Seguin lors d’une visite du lieu en 1999.
Partie 5 : LE PROJET
Interventions générales
1. Etude approfondie du site
L’île fait plus d’un kilomètre de long. Sa largeur maximale est de 150m. D’apparence assez uniforme est homogène, l’île se révèle être un gigantesque collage d’architecture industrielle.
2. Accès
L’accès à l’île en voiture se fait par un pont. Les promeneurs peuvent utiliser une passerelle créée côté Boulogne. L’île est par ailleurs accessible par bateau.
3. Verrières
Au dessus des longues rues couvertes sont disposées des verrières qui permettent de profiter à l’intérieur d’une lumière naturelle abondante. Il est important de conserver le plus possible ces sources de lumières, et de ne les supprimer que lorsque cela est indispensable au projet.
4. Couches Négatives
La zone d’accès par voiture est une véritable charnière entre les 3⁄4 Ouest de l’île, qui suit une trame orthonormée et la pointe Est dont la trame a subi une rotation pour suivre la courbe de la seine. Mon action a été de mettre en exergue le caractère de cette portion en découvrant une large portion de l’usine. Cette même technique de couche négative a été appliquée au milieu de l’île sur son flanc Nord. On la retrouve une fois encore juste avant l’actuelle centrale électrique de l’usine, à la pointe Ouest.
5. Trame / Structure
Une trame a été définie pour pré-figer le projet : il s’agit d’une trame de superstructure de 50m qui subit une déformation sur la pointe Est. Cette superstructure me permet de construire la partie aérienne de la cité, au niveau de la partie supérieure de l’usine actuelle. De plus, on trouve, à l’intérieur de chaque poteau, une distribution verticale qui permet de lier les différents niveaux en une multitude de points.
Interventions extérieures
1. Ponton-Promenade Sud
Après avoir parlé des interventions générales, nous allons étudier le fonctionnement des diverses zones extérieures. Deux principes viennent lier les diverses interventions. Tout d’abord le refus d’une ville-plan au bénéfice d’une multitude de niveaux différents pour mieux rythmer le parcours. Ensuite le besoin de lumière qui débouche sur une ouverture maximale de la cité au Sud.
Au niveau de la toiture actuelle de l’île, en porte-à-faux sur la seine, un ponton-promenade est créé. Il donne sur le sud, vers les collines boisées de Meudon.
2. Trame aléatoire végétale construite
Au niveau supérieur, une trame aléatoire est créée, répondant au rapport de 1⁄4 de construit pour 3⁄4 de végétation. Les bâtiments ont une base identique mais des hauteurs diverses (x1, x2, x3).
3. Bâtiment-serre
Le bâtiment le plus important (en hauteur) de l’île, sert de socle à une gigantesque serre.
4. Vivre sur les toits
Un nouveau bâtiment est créé rive Sud. Sa face supérieure est traitée comme une nouvelle portion de ville avec l’insertion de la trame aléatoire construite..
5. Deux cubes
Deux bâtiments viennent encadrer la vue vers Boulogne. De par leur taille, ils constituent des points de repères dans la cité
6. Le "phare" de concert
Un plan en pente file vers la pointe Ouest. L’ancienne centrale électrique est reconvertie en salle de concerts. Un bâtiment-phare vient signaler la pointe de l’île. Il est ouvert vers l’est afin de servir d’auditorium extérieur.
7. Couche flottante
Une trame de logements aériens, sorte de couche flottante, survole la partie Ouest de l’île, reposée sur la superstructure. L’accès à ces bâtiments se fait par la distribution verticale insérée dans les poteaux.
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8. Promenade Nord
Le plan en pente se retourne pour accéder à une plate-forme, longue promenade végétale dominant le panorama parisien
9. Ilot Est
Deux passerelles à deux niveaux différents permettent d’accéder à l’îlot Est, traité indépendamment et isolée par un mur-écran qui se retourne sur la seine. La trame aléatoire vient prolonger la longue bande végétale Sud. Une passerelle en pente permet d’accéder au niveau supérieur construit puis de redescendre vers la pointe Est de l’île.
10. Anneau de Moëbius
Toute l’île est pensée de la sorte que la promenade soit comme un anneau de Moëbius : On passe d’un niveau à l’autre par une multitude de chemins possibles
Interventions intérieures
1. Accès voiture
L’accès à l’île en voiture par le pont mène aux aires de stationnement situés entre les galeries intérieures.
2. Accès bateaux
Un accès bateau est créé ; il permet d’accéder, par la seine, à l’intérieur de l’île.
3. Verrières
L’espace intérieur est utilisé en tirant parti des verrières et puits de lumière qui inondent les galeries de lumière. Les verrières sont utilisées de trois façons différentes. La verrière peut-être conservée en l’état. Elle peut être supprimée afin de laisser l’intérieur communiquer avec l’extérieur. La troisième solution consiste à conserver la verrière et de créer au dessus un bassin sur un lit de verre, pour une lumière filtrée, toujours en mouvement.
4. Jardin Intérieur Est
Sous l’îlot Est, un espace-tampon, gigantesque jardin intérieur, est créé entre la surface de stationnement et le niveau aérien de la ville. L’atmosphère végétale de cet espace-tampon envahit l’espace de stationnement par des ouvertures entre les deux niveaux. C’est un espace intérieur totalement indépendant, sorte de jardin des profondeurs.
5. Communication
Des espaces de communications entre l’intérieur et l’extérieur (les parties évidées, les verrières, …) permettent une communication entre les deux entités.
La cité invisible est une tentative de cité utopique insulaire et quasi-autarcique, une refonte des standards urbains, une ville dans la ville où cohabitent un dedans et un dehors, l’ombre et la lumière, la pierre et le végétal.
Un dedans retravaillé dans sa brutalité, la beauté de ses volumes et un dehors ouvert aux cieux, sorte de gigantesque promenade habitée.

Partie 6 : LA MAQUETTE

Partie 7 : LE FILM
Ceci est l’histoire d’un homme qui rêve.
Paris, jeudi. Les voitures filent sur le boulevard. Les gens déambulent dans une ville figée et se fondent à des bâtiments qu’ils n’habitent pas. L’homme dont nous racontons l’histoire fait partie de ces gens. Jusqu’à l’accident…
Peu de temps après, l’homme se met à rêver. Tout d’abord, il se souvient d’un lieu. Sa lumière, ses textures, les signes de sa lente disparition.
Puis les images se mêlent et se succèdent dans un musée qui pour-rait être celui de sa mémoire. Un jour, il produit des images mentales. Il ne les contrôle pas encore, mais il les reconnaît comme son propre espoir de ville.
Un autre jour, il est enfin capable de contrôler ses projections oniriques. Il se met alors à déambuler dans cette ville onirique et utopique. Sa ville.
[ ce film est un hommage
à "La jetée" de Chris Marker ]

TRACKLIST :
Michel Legrand "The Windmills of your mind" 
sung by Noel Harrisson (The Thomas Crown Affair Soundtrack)
Tom Waits "Bride Of Raindogs (Instrumental)" (The Black Rider)
Tom Waits "Flash Pan Hunter/Intro" (Rain Dogs)
Radiohead "Fitter Happier" ( OK COmputer)
Elliott Smith "Bye" (Figure 8)
Pascal Comelade "Love too Soon (Piano Version)" (Swing Slang Song)
cité invisible © cedric thual 2000
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